Sophie Boudarel a eu l'idée de créer un challenge pour les généablogueurs, le challenge de A à Z: écrire un article par jour au mois d'avril (sauf le dimanche ouf!) en suivant l'alphabet. Vous comprenez donc maintenant le titre de ce billet. Mais vais-je tenir la distance? Je n'en suis pas convaincue...
A la recherche de mes ancêtres seinomarins de Ricarville du Val, me voilà en train d'éplucher un à un les actes du milieu du XVIIIe siècle de cette commune. J'ai rapidement été interpellé par l'abondance d'actes de décès de nourrissons qui avaient été mis en nourrice chez des habitants de Ricarville. Je n'avais encore jamais rencontré une telle concentration d'actes de ce type et je me suis mis en tête de les relever. 57 enfants en nourrice sont décédés de 1745 à 1762. Ces enfants sont issus pour la majorité de couples bourgeois ou artisans (boulanger, matelassier, perruquier,...) de Dieppe mais aussi de l'Hôtel Dieu de Rouen qui "plaçait" les enfants abandonnés en nourrice. Vous pourrez connaitre le noms de ces pauvres enfants sur GénéaDécès, qui sait, y retrouvez-vous peut-être un collatéral dont vous n'avez jamais trouvé la date de décès...
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Au XVIIIe siècle, en france, un phénomène de grande importance se développe: la mise en nourrice. Ce phénomène se voit surtout dans les villes avec les bourgeoises et femmes d'artisans qui envoient leurs enfants dans les villages environnants.
Pourquoi se séparer ainsi de son bébé?
"La femme dans la noblesse et une partie de la bourgeoisie commence à fonctionner comme objet de consommation ostentatoire, elle doit donc ménager son corps, ne pas se transformer en vulgaire "nounou", et cela expliquerait certaines tendances bourgeoises à la mise en nourrice des enfants".
Pour les artisans, il est plus rentable de donner son enfant en nourrice, la mère ne cessant de travailler avec son époux engendre une perte d'argent moindre que si elle restait à le nourrir.
Se pose alors le choix de la nourrice. Les critères sont différents selon les couches sociales. L'hôpital en général place les enfants abandonnés chez une nourrice au fin fond d'un village perdu. Les bourgeois peuvent se permettre de choisir leur nourrice et souvent des liens d'amitiés naissent entre eux. Une nourrice pourra donc prendre en charge tous les enfants d'un couple au fur et à mesure de leur naissance. Pour les artisans, la nourrice doit être suffisamment bon marché pour que la mise en nourrice soit plus rentable que la garde de l'enfant.
Que deviennent les bébés en nourrice?
Malheureusement les conditions sont telles que les enfants meurent très souvent. Certains n'ont même pas le temps d'arriver chez leur mère nourricière à cause des conditions de voyage. Les autres périront en grande majorité dans les premiers mois de "nourrissage". En effet, les nourrices soignent ces enfants pour l'argent, moins elles en dépensent pour eux, plus elles en gagnent d'où le terme d'allaitement mercenaire. Les conditions de vie des bébés sont plus que précaires, les soins inexistants. Même des veuves sont nourrices et donc dans l'impossibilité d'allaiter. Qu'importe, elles leur donnent des bouillies ou du lait de vache à l'aide d'une corne percée d'un trou. L'allaitement mercenaire est donc responsable d'une véritable hécatombe due à des conditions de vie misérables ainsi qu'une alimentation rarement adaptée aux besoin de l'enfant. "Sur 833 bébés abandonnés à Rouen de 1783 à 1789, 90,8% meurent avant un an (Bardet, 1973)". Je ne peux pas faire ces statistiques pour Ricarville car je ne connais pas la proportion des enfants en nourrice vivant, je ne connais que les décédés. J'ai malgré tout réalisé un graphique montrant la proportion des décès d'enfants en nourrice par rapport au nombre total de décès du village.
Conséquences de l'allaitement mercenaire
Il est un des facteurs responsable de la croissance économique rurale du XVIIIe siècle.
Il entraîne une surfécondité chez les mères de sang. En effet le retour de couches est plus rapide quand l'allaitement est inexistant, de ce fait elles ont des grossesses plus rapprochées. A l'inverse, les nourrices allaitantes voient leur grossesses s'espacer (un enfant tous les deux ans environ). L'usage de l'allaitement mercenaire accroît donc la fécondité mais dans le même temps la mortalité infantile.
Pour une analyse beaucoup plus approfondie sur l'allaitement mercenaire, je vous invite à lire l'article "Un phénomène bio-socioculturel : l'allaitement mercenaire en France au XVIIIe siècle" d'Emmanuel Le Roy Ladurie dont je me suis servie pour écrire ce billet.
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Pour lire les différents billets des généablogueurs participant au Challenge de A à Z, Sophie Boudarel les regroupent sur un scoop.it dédié : c'est par ici.
Tomber sur ce genre d'actes prend aux tripes. On a beau avoir lu sur le sujet, c'est assez sidérant l'histoire par les archives. Je viens de recevoir "Une société à soigner" par Gérard Jorland, dans le chapitre sur l'allaitement mercenaire, il dit clairement qu'il s'agit d'un infanticide masqué, rejoignant ainsi Elisabeth Badinter dans son bouquin "L'amour en plus".
RépondreSupprimerOui c'était un infanticide, les mères savaient pertinemment ce qu'encourait leurs bébés en les mettant en nourrice.
SupprimerPassionnant en effet. ça me renvoie aux très nombreux décès de nourrissons enregistrés sur les archives de l'Yonne, puisque l'Yonne semble avoir été l'un des départements de prédilection pour les "bourgeois" de Paris. Ils y envoyaient leurs jeunes enfants ... mais le bol d'air de la campagne leur était souvent fatal.
RépondreSupprimerEt combien arrivaient à destination, il devait y avoir une sacrée perte, si j'ose dire, en route.
SupprimerPassionnant, vraiment !
RépondreSupprimerJe connaissais les nourrices du Morvan et en avais parlé sur mon Blog http://memoirevive-coteblog.blogspot.fr/2011/02/le-lait-du-morvan.html
Il y avait les nourrices qui abandonnaient leurs enfants à leur famille pour venir se placer à Paris dans les maisons bourgeoises. Les nourrissons qu'elles délaissaient mourraient dans la plupart des cas ; Il y avait aussi les nourrices qui accueillaient "les petits Paris", les nourrissons de l'assistance publique. Parfois il s'agissait de vraies braves femmes qui élevaient les enfants confiés comme les leurs, parfois c'était une véritable exploitation avec son lot de maltraitance...
Merci pour le lien vers votre article, très intéressant et complémentaire.
SupprimerMerci pour le lien. J'ai recensé le même type de décès pour une commune du Cher avec des enfants qui venaient de Paris. Cela va certainement éclairer ma lanterne !
RépondreSupprimerDans cet article, il évoque le cas de Paris, vous allez y trouver votre bonheur
SupprimerTrès bel article qui apprend plein de choses et me donne des idées pour de prochaines recherches ! J'aborderai certainement le thème des enfants abandonnés dans un article.
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RépondreSupprimerMerci Damien
Vaste sujet aussi que les enfants abandonnés